دراسات : بارتولمي امنجوال.. طفل السينما الجزائري
بقلم الناقدة الفرنسية نادية مفلاح
BARTHELEMY AMENGUAL .L Enfant AlGERIEN DE CINEMA
PAR : NADIA MEFLAHبقلم ناديا مفلاح
Qu’est-ce que je suis ? Qu’est-ce que j’ai été ? Je suis né à Alger et j’y ai enseigné jusqu’à l’âge de la retraite (…) Il est moins facile de dire ce que je fais N’ayant jamais été journaliste ni même collaborateur permanent ou régulier d’une revue (exceptons peut-être Etudes Cinématographiques), je ne me revendique pas comme critique. (…) Disons que je réfléchis sur le cinéma et que quelques textes et livres sortent de ces réflexions.
Barthélemy Amengual répondant à Jean-François Houben dans son ouvrage Feux croisés sur la critique, Cerf, 1999
Barthélemy Amengual, critique, historien et théoricien du cinéma, est mort mercredi 17 août 2005 à l'hôpital de Valence (Drôme) en France. Il a été incinéré à Valence où il vivait. Il était âgé de 85 ans
Cet enfant algérien de cinéma qu’il a été…
Il est né le 22 novembre 1919 à Alger dans une famille pauvre d'origine espagnole. «Dans mon enfance et mon adolescence, c’est le cinéma qui m’a subjugué, beaucoup plus que les films *» De cette enfance en cinéma (la première fois à 6 ans) il racontera : « De cette fréquentation précoce et captivée ma mémoire a moins retenu des émotions que des sentiments, une foi, un état d’esprit. Le sentiment d’être soudain, devant l’écran, un « grand » libre, fort, sage, qui hante tous les milieux, approche les choses de tout près (un train en marche, une tempête, une guerre, un incendie, un volcan), et qui, comme un vrai « grand » console l’orpheline, délivre l’innocent, gagne sa vie ; la conviction que les films anticipaient mon expérience à venir du monde vraie et multiple.1
L’homme en gardera toute sa vie un éclat incomparable de beauté et d’intelligence à travers ses nombreux écrits. Avec toujours vissé aux mots cette attention au lecteur que l’on peut aussi imputer à sa formation d’instituteur. Ecrivain de cinéma humaniste, Amengual transmettait au sens fort du terme.
Le pédagogue et militant cinéphile de la culture populaire
Comme André Bazin instituteur aussi, son aîné d’un an, Amengual écrivait pour transmettre son amour du cinéma en pédagogue éclairé, porté par une croyance têtue au réalisme, démon qu’il n’aura cesse de traquer sa vie durant.
« Je découvrais quelque chose comme la paradoxe de Diderot : plus l’acteur joue et plus il est authentique2 » De cette prise de conscience du leurre et du mensonge avéré du cinéma auquel il succombe, il en fera sa pierre de touche pour réfléchir sa vie durant sur ce principe de réalisme. Exercice difficile jamais abandonné, allant jusqu’à déclarer en toute lucidité et humilité : « Définir le réalisme est une tâche impossible. D'abord parce qu'il est toujours facile de confondre réalité et vérité ; ensuite parce qu'on peut toujours retrouver le réel (certains aspects du réel), dans toutes sortes de genres et d’œuvres non réalistes 3 »
C’est cet amour du cinéma qui le conduisit à animer un ciné-club «Ce sera donc par la pédagogie que je suis arrivée à l’écriture.»
Il fut instituteur sa vie professionnelle durant, «mon métier d’enseignant se conjuguait aisément avec ma passion du cinéma, passion d’étudier; d’enseigner et de participer à une nouvelle culture, la culture cinématographique». Barthélemy Amengual s’est fait connaître dans l’immédiat après Deuxième guerre mondiale comme critique de cinéma dans les colonnes d’Alger républicain notamment et surtout comme animateur du Ciné-Club d’Alger. Partisan de l’indépendance algérienne, il demeure dans son pays natal jusqu’en 1968 (date à laquelle il prit sa retraite) où il est amené à s’installer à Valence avec son épouse. Sa première publication d’envergure, en 1954, est une analyse de la bande dessinée Pif le chien dont l’Humanité et les journaux communistes régionaux publient chaque jour les « strips, »
L’exercice critique
Deux figures importantes de la critique en France l’accueillent et le soutiennent : Bernard Chardère (fondateur de la revue Positif) et André Bazin. Ils furent ses parrains qui, tout deux, publièrent, l’un à Premiers Plans sa première monographie critique consacrée à Eisenstein, l’autre aux Cahiers du Cinéma son étude sur « l'Etrange Comique de monsieur Tati 4».
Comment situer Barthélemy Amengual dans la galaxie des critiques et théoriciens du cinéma ?
Tout d’abord, il y a le continent américain avec le cinéma classique des origines. Ses études sur Griffith, Stroheim et Lubistsch (« Il faut qu’une porte soit ouverte et/ou fermée ») sont des bijous d’intelligence éclairés et d’uen très grande précision. King Vidor, mais aussi sur Welles et Hitchcock avec son impressionnante étude sur Vertigo5:« l’avouerais-je ? Voici le premier film d’Hitchcock auquel j’ai cédé, qui m’a roulé dans son poème.».
Et dès 1957, tout comme le sociologue et humaniste Edgar Morin6 réfléchissait sur les stars, Amengual s’est penché sur ce phénomène et notamment avec Marilyn Monroe, à plusieurs reprises (« 37-22-35 ou l’impossible nombre d’or 7»).
L’autre grand continent, de référence, est celui du cinéma italien néoréaliste, où comme Bazin, Amengual n’aura cesse de réfléchir sur le réel : les auteurs italiens des années 50 et 60, de Cesara Zavattini à Antonioni Bertolucci et Pasolini. Il a longuement dialogué avec Guido Aristarco sur les théories du philosophe marxiste Geroges Luckas8. Il a notamment traduit de l’italien plusieurs ouvrages, sur Lattuada ainsi que l’essai de Guido Aristarco « Marx, le cinéma et la critique de film. » Son article sur «la Genèse du néoréalisme italien» est une leçon où il y prouve une connaissance profonde de la politique, de l'histoire et de la littérature italiennes
Et bien-sût, le cinéma soviétique. Dans les années 1960, il s’est imposé comme l’un des meilleurs connaisseurs du cinéma soviétique en France, et en particulier sur le cinéma d'Eisenstein. Son Que Viva Eisenstein, (726 pages serrées), est une œuvre critique monumentale
Mais l’un des auteurs auquel Amengual s’est intéressé avec la plus grande patience et persevérance est René Clair dont il a très tôt déploré le discrédit qui a frappé ce trop célèbre réalisateur dont la complexité est demeurée mal
perçue. Tout en collaborant à plusieurs revues de cinéma ( Les Cahiers de la Cinémathèque de 1971 à 1996 avec Marcel Oms, Les Cahiers du Cinéma, Positif, CinémAction de 1980 à 1996, Ecran, Jeune Cinéma de 1975 à 1989 ), il est resté d’une très grande attention aux bouleversements révolutionnaires des années 55-65 (Pologne Hongrie, Brésil, Grèce, entre autres). Ses études fines et érudites sur Glauber Rocha, Miklos Jancso (« les périls de l’abstraction9 ») Théo Angelopoulos et Wim Wenders sont devenues des références pour une grande partie de la critique journalistique.
En 1998, il a publié Du réalisme au cinéma, anthologie de textes qu'il avait écrits pour différentes revues, entre le milieu des années 1950 et le printemps 1997. Cet ouvrage de référence a reçu en février 1998 le prix du meilleur livre de langue française attribué par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma.
Du savoir à la saveur
Mais plus encore que cette profonde connaissance du cinéma, c’est du plaisir qu’il faut témoigner à l’égard de Barthélemy Amengual. Celui éprouvé à la lecture de ces écrits où l’intelligence brille par sa clarté, matinée d’humour sensualiste, lorsqu’il évoque langoureusement ces enfoncements sensuellement suggestifs des trains hitchcockiens pour raconter le cinéma porno. Il est rare d’éprouver du bonheur à la lecture d’analyse cinématographique (qui n’a jamais tâtonné devant certains thuriféraires du tout analytique sémiotique, entre autre…) et c’est ce que nous donnait à vivre Amengual. Plus que tout, ce qui emporte, c’est le souffle de la passion qui transfigure ces écrits. Quelques exemples à savourer : «Je crois aux œuvres qui nous laissent au cœur une écharde, quelle qu’elle soit. (…) Je sais peu de choses qui puissent autant bouleverser que cette ascension tragique à la fin du film, où chacun des amants craignant l’autre, le dévoilement suprême, la conjonction passionnelle totale et impossible hors la mort, s’identifie littéralement au rituel policier de la reconstruction du crime.10»
Mais encore sur le cinéma porno : «Monde sans laideur, sans disgrâce physique ni psychique, où les servitudes biologiques sont récupérées comme sources de plaisirs pervers (…) où la seule félicité imaginable tient dans un coït sans limites, où tout mâle et toute femelle, à fortiori tout ambisexué, se trouve toujours prêts à partir au premier signal et décolle à la première étincelle ; monde sans échecs, ni lenteurs, ni retombées, ni asynchronie, où n’importe quelle action sur n’importe quelle zone réputée érogène jette immédiatement dans des extases infinies.»
Ce matérialisme auquel il se réclame se niche dans l’éclat incomparable de sa langue, superbement classique, au ton personnel lorsqu’il avoue l’enfant de cinéma qu’il reste, subjugué par ces corps réels en mouvement ; cette écriture faite de chair et d’esprit où l’argumentation est précise, développée et toujours en lien avec son lecteur. Amengual partage avec Barthes cet égotisme du langage, fait de saveur et de savoir, sans la préciosité de certains ni la flagornerie intellectuelle chic.
Et maintenant?
Cet auteur d’un essai sur Pif le chien, membre de l’Association française de recherche sur l’histoire du cinéma , matérialiste assurément pour qui la question du réalisme est la voie pour appréhender le cinéma et le monde « ce fameux réalisme ontologique où le geste demeure pour l’éternité » », resta vigilant à tous les changements que la société connaît depuis ces deux dernière décennies.
Conscient du désenchantement du monde qu’accompagne le cinéma: «le cinéma n’est plus politique intentionnellement. Il ne connaît que les effets, pas les causes; que les victimes, pas les responsable. En ce sens il est le miroir de son temps.11»
Que peut cette nouvelle génération de critiques, à laquelle j’appartiens, issue de la cinéphilie télévisuelle et de l’enseignement du cinéma à l’universités?
Surtout lorsqu’il affirme sa déception de l’enseignement du cinéma : « Bien qu’il soit relativement récent, cet enseignement me paraît responsable du fléchissement général du cinéma (qui y a pris la manie des allusions, emprunts, «hommages» aux films de maîtres, et les alibis qu’il prétend trouver dans la «méditation», la «déconstruction» la «réflexion», la « contestation » etc. du cinéma par le cinéma). Plus responsable encore de l’état d’ensemble de la critique –il y a des exceptions - pour qui la politique des auteurs, des genres et des comédiens reste souveraine ; et du consensus désolant, du conformisme accablant des cinéphiles (tous les classiques, tous les films repérés par les historiens, tous les films étudiés avec les profs de cinéma, semblent ne pouvoir être que géniaux, inoubliables et bien sûr films cultes.) »
A méditer sans modération pour un véritable engagement critique.
* Toutes les citations de Barthélemy Amengual sont issues de l’ouvrage de Jean-François Houben Feux croisés sur la critique, Cerf, 1999
Bibliographie succincte
Le petit monde de Pif le chien, essai sur un « comic » français, Alger, Travail et Culture, 1955
S.M Eisenstein, Premiers Plans, Serdoc, Lyon, 1962
Charles Chaplin, Premier Plan, Serdoc, Lyon, 1963
René Clair, Cinéma d’aujourd’hui, Seghers, 1963
G.W Pabst, Cinéma d’aujourd’hui ,Seghers, Paris, 1963
Alexandre Dovjenko, Cinéma d'aujourd'hui, Seghers, 1970
Clefs pour le cinéma Seghers, 1971
Que Viva Eisenstein !, L’Age d’Homme, 1980
Du réalisme au cinéma, Nathan, 1997( l’excellente et indispensable anthologie des textes de Barthélemy Amengual, établie par Suzanne Liandrat-Guigues, présente à ce jour la plus complète bibliographie sur l’auteur)
1 Cet enfant de cinéma que nous avons été, sous la direction d’Alain Bergala et Nathalie Bourgeois, Institut de l’Image, Aix en Provence, 1993
2 ibid, p.64
3 Du réalisme au cinéma, 1997 Nathan
4 Cahiers duCinéma, n°32, février 1954 et n°34
5 « A propos de Vertigo, ou Hitchcock contre Tristan», Etudes Cinématographiques, n°84-87, 1971
6 Les Stars, Le Seuil, Édition de poche 1957. Réédition illustrée, Galilée, 1984, 183 p.
7 Texte paru dans Cinéma d’aujourd’hui, n°1, mars-avril 1975
8 Histoire et conscience de classe, Georg Luckas, Editions de Minuit
9 Texte paru dans « Etudes Cinématographiques», n°73-77, 1969.
10« A propos de Vertigo, ou Hitchcock contre Tristan», Etudes Cinématographiques, n°84-87, 1971
11 Entretien avec Suzanne Liendrat-Guigues, Du réalisme au cinéma, Nathan, 1997
PAR : NADIA MEFLAHبقلم ناديا مفلاح
Qu’est-ce que je suis ? Qu’est-ce que j’ai été ? Je suis né à Alger et j’y ai enseigné jusqu’à l’âge de la retraite (…) Il est moins facile de dire ce que je fais N’ayant jamais été journaliste ni même collaborateur permanent ou régulier d’une revue (exceptons peut-être Etudes Cinématographiques), je ne me revendique pas comme critique. (…) Disons que je réfléchis sur le cinéma et que quelques textes et livres sortent de ces réflexions.
Barthélemy Amengual répondant à Jean-François Houben dans son ouvrage Feux croisés sur la critique, Cerf, 1999
Barthélemy Amengual, critique, historien et théoricien du cinéma, est mort mercredi 17 août 2005 à l'hôpital de Valence (Drôme) en France. Il a été incinéré à Valence où il vivait. Il était âgé de 85 ans
Cet enfant algérien de cinéma qu’il a été…
Il est né le 22 novembre 1919 à Alger dans une famille pauvre d'origine espagnole. «Dans mon enfance et mon adolescence, c’est le cinéma qui m’a subjugué, beaucoup plus que les films *» De cette enfance en cinéma (la première fois à 6 ans) il racontera : « De cette fréquentation précoce et captivée ma mémoire a moins retenu des émotions que des sentiments, une foi, un état d’esprit. Le sentiment d’être soudain, devant l’écran, un « grand » libre, fort, sage, qui hante tous les milieux, approche les choses de tout près (un train en marche, une tempête, une guerre, un incendie, un volcan), et qui, comme un vrai « grand » console l’orpheline, délivre l’innocent, gagne sa vie ; la conviction que les films anticipaient mon expérience à venir du monde vraie et multiple.1
L’homme en gardera toute sa vie un éclat incomparable de beauté et d’intelligence à travers ses nombreux écrits. Avec toujours vissé aux mots cette attention au lecteur que l’on peut aussi imputer à sa formation d’instituteur. Ecrivain de cinéma humaniste, Amengual transmettait au sens fort du terme.
Le pédagogue et militant cinéphile de la culture populaire
Comme André Bazin instituteur aussi, son aîné d’un an, Amengual écrivait pour transmettre son amour du cinéma en pédagogue éclairé, porté par une croyance têtue au réalisme, démon qu’il n’aura cesse de traquer sa vie durant.
« Je découvrais quelque chose comme la paradoxe de Diderot : plus l’acteur joue et plus il est authentique2 » De cette prise de conscience du leurre et du mensonge avéré du cinéma auquel il succombe, il en fera sa pierre de touche pour réfléchir sa vie durant sur ce principe de réalisme. Exercice difficile jamais abandonné, allant jusqu’à déclarer en toute lucidité et humilité : « Définir le réalisme est une tâche impossible. D'abord parce qu'il est toujours facile de confondre réalité et vérité ; ensuite parce qu'on peut toujours retrouver le réel (certains aspects du réel), dans toutes sortes de genres et d’œuvres non réalistes 3 »
C’est cet amour du cinéma qui le conduisit à animer un ciné-club «Ce sera donc par la pédagogie que je suis arrivée à l’écriture.»
Il fut instituteur sa vie professionnelle durant, «mon métier d’enseignant se conjuguait aisément avec ma passion du cinéma, passion d’étudier; d’enseigner et de participer à une nouvelle culture, la culture cinématographique». Barthélemy Amengual s’est fait connaître dans l’immédiat après Deuxième guerre mondiale comme critique de cinéma dans les colonnes d’Alger républicain notamment et surtout comme animateur du Ciné-Club d’Alger. Partisan de l’indépendance algérienne, il demeure dans son pays natal jusqu’en 1968 (date à laquelle il prit sa retraite) où il est amené à s’installer à Valence avec son épouse. Sa première publication d’envergure, en 1954, est une analyse de la bande dessinée Pif le chien dont l’Humanité et les journaux communistes régionaux publient chaque jour les « strips, »
L’exercice critique
Deux figures importantes de la critique en France l’accueillent et le soutiennent : Bernard Chardère (fondateur de la revue Positif) et André Bazin. Ils furent ses parrains qui, tout deux, publièrent, l’un à Premiers Plans sa première monographie critique consacrée à Eisenstein, l’autre aux Cahiers du Cinéma son étude sur « l'Etrange Comique de monsieur Tati 4».
Comment situer Barthélemy Amengual dans la galaxie des critiques et théoriciens du cinéma ?
Tout d’abord, il y a le continent américain avec le cinéma classique des origines. Ses études sur Griffith, Stroheim et Lubistsch (« Il faut qu’une porte soit ouverte et/ou fermée ») sont des bijous d’intelligence éclairés et d’uen très grande précision. King Vidor, mais aussi sur Welles et Hitchcock avec son impressionnante étude sur Vertigo5:« l’avouerais-je ? Voici le premier film d’Hitchcock auquel j’ai cédé, qui m’a roulé dans son poème.».
Et dès 1957, tout comme le sociologue et humaniste Edgar Morin6 réfléchissait sur les stars, Amengual s’est penché sur ce phénomène et notamment avec Marilyn Monroe, à plusieurs reprises (« 37-22-35 ou l’impossible nombre d’or 7»).
L’autre grand continent, de référence, est celui du cinéma italien néoréaliste, où comme Bazin, Amengual n’aura cesse de réfléchir sur le réel : les auteurs italiens des années 50 et 60, de Cesara Zavattini à Antonioni Bertolucci et Pasolini. Il a longuement dialogué avec Guido Aristarco sur les théories du philosophe marxiste Geroges Luckas8. Il a notamment traduit de l’italien plusieurs ouvrages, sur Lattuada ainsi que l’essai de Guido Aristarco « Marx, le cinéma et la critique de film. » Son article sur «la Genèse du néoréalisme italien» est une leçon où il y prouve une connaissance profonde de la politique, de l'histoire et de la littérature italiennes
Et bien-sût, le cinéma soviétique. Dans les années 1960, il s’est imposé comme l’un des meilleurs connaisseurs du cinéma soviétique en France, et en particulier sur le cinéma d'Eisenstein. Son Que Viva Eisenstein, (726 pages serrées), est une œuvre critique monumentale
Mais l’un des auteurs auquel Amengual s’est intéressé avec la plus grande patience et persevérance est René Clair dont il a très tôt déploré le discrédit qui a frappé ce trop célèbre réalisateur dont la complexité est demeurée mal
perçue. Tout en collaborant à plusieurs revues de cinéma ( Les Cahiers de la Cinémathèque de 1971 à 1996 avec Marcel Oms, Les Cahiers du Cinéma, Positif, CinémAction de 1980 à 1996, Ecran, Jeune Cinéma de 1975 à 1989 ), il est resté d’une très grande attention aux bouleversements révolutionnaires des années 55-65 (Pologne Hongrie, Brésil, Grèce, entre autres). Ses études fines et érudites sur Glauber Rocha, Miklos Jancso (« les périls de l’abstraction9 ») Théo Angelopoulos et Wim Wenders sont devenues des références pour une grande partie de la critique journalistique.
En 1998, il a publié Du réalisme au cinéma, anthologie de textes qu'il avait écrits pour différentes revues, entre le milieu des années 1950 et le printemps 1997. Cet ouvrage de référence a reçu en février 1998 le prix du meilleur livre de langue française attribué par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma.
Du savoir à la saveur
Mais plus encore que cette profonde connaissance du cinéma, c’est du plaisir qu’il faut témoigner à l’égard de Barthélemy Amengual. Celui éprouvé à la lecture de ces écrits où l’intelligence brille par sa clarté, matinée d’humour sensualiste, lorsqu’il évoque langoureusement ces enfoncements sensuellement suggestifs des trains hitchcockiens pour raconter le cinéma porno. Il est rare d’éprouver du bonheur à la lecture d’analyse cinématographique (qui n’a jamais tâtonné devant certains thuriféraires du tout analytique sémiotique, entre autre…) et c’est ce que nous donnait à vivre Amengual. Plus que tout, ce qui emporte, c’est le souffle de la passion qui transfigure ces écrits. Quelques exemples à savourer : «Je crois aux œuvres qui nous laissent au cœur une écharde, quelle qu’elle soit. (…) Je sais peu de choses qui puissent autant bouleverser que cette ascension tragique à la fin du film, où chacun des amants craignant l’autre, le dévoilement suprême, la conjonction passionnelle totale et impossible hors la mort, s’identifie littéralement au rituel policier de la reconstruction du crime.10»
Mais encore sur le cinéma porno : «Monde sans laideur, sans disgrâce physique ni psychique, où les servitudes biologiques sont récupérées comme sources de plaisirs pervers (…) où la seule félicité imaginable tient dans un coït sans limites, où tout mâle et toute femelle, à fortiori tout ambisexué, se trouve toujours prêts à partir au premier signal et décolle à la première étincelle ; monde sans échecs, ni lenteurs, ni retombées, ni asynchronie, où n’importe quelle action sur n’importe quelle zone réputée érogène jette immédiatement dans des extases infinies.»
Ce matérialisme auquel il se réclame se niche dans l’éclat incomparable de sa langue, superbement classique, au ton personnel lorsqu’il avoue l’enfant de cinéma qu’il reste, subjugué par ces corps réels en mouvement ; cette écriture faite de chair et d’esprit où l’argumentation est précise, développée et toujours en lien avec son lecteur. Amengual partage avec Barthes cet égotisme du langage, fait de saveur et de savoir, sans la préciosité de certains ni la flagornerie intellectuelle chic.
Et maintenant?
Cet auteur d’un essai sur Pif le chien, membre de l’Association française de recherche sur l’histoire du cinéma , matérialiste assurément pour qui la question du réalisme est la voie pour appréhender le cinéma et le monde « ce fameux réalisme ontologique où le geste demeure pour l’éternité » », resta vigilant à tous les changements que la société connaît depuis ces deux dernière décennies.
Conscient du désenchantement du monde qu’accompagne le cinéma: «le cinéma n’est plus politique intentionnellement. Il ne connaît que les effets, pas les causes; que les victimes, pas les responsable. En ce sens il est le miroir de son temps.11»
Que peut cette nouvelle génération de critiques, à laquelle j’appartiens, issue de la cinéphilie télévisuelle et de l’enseignement du cinéma à l’universités?
Surtout lorsqu’il affirme sa déception de l’enseignement du cinéma : « Bien qu’il soit relativement récent, cet enseignement me paraît responsable du fléchissement général du cinéma (qui y a pris la manie des allusions, emprunts, «hommages» aux films de maîtres, et les alibis qu’il prétend trouver dans la «méditation», la «déconstruction» la «réflexion», la « contestation » etc. du cinéma par le cinéma). Plus responsable encore de l’état d’ensemble de la critique –il y a des exceptions - pour qui la politique des auteurs, des genres et des comédiens reste souveraine ; et du consensus désolant, du conformisme accablant des cinéphiles (tous les classiques, tous les films repérés par les historiens, tous les films étudiés avec les profs de cinéma, semblent ne pouvoir être que géniaux, inoubliables et bien sûr films cultes.) »
A méditer sans modération pour un véritable engagement critique.
* Toutes les citations de Barthélemy Amengual sont issues de l’ouvrage de Jean-François Houben Feux croisés sur la critique, Cerf, 1999
Bibliographie succincte
Le petit monde de Pif le chien, essai sur un « comic » français, Alger, Travail et Culture, 1955
S.M Eisenstein, Premiers Plans, Serdoc, Lyon, 1962
Charles Chaplin, Premier Plan, Serdoc, Lyon, 1963
René Clair, Cinéma d’aujourd’hui, Seghers, 1963
G.W Pabst, Cinéma d’aujourd’hui ,Seghers, Paris, 1963
Alexandre Dovjenko, Cinéma d'aujourd'hui, Seghers, 1970
Clefs pour le cinéma Seghers, 1971
Que Viva Eisenstein !, L’Age d’Homme, 1980
Du réalisme au cinéma, Nathan, 1997( l’excellente et indispensable anthologie des textes de Barthélemy Amengual, établie par Suzanne Liandrat-Guigues, présente à ce jour la plus complète bibliographie sur l’auteur)
1 Cet enfant de cinéma que nous avons été, sous la direction d’Alain Bergala et Nathalie Bourgeois, Institut de l’Image, Aix en Provence, 1993
2 ibid, p.64
3 Du réalisme au cinéma, 1997 Nathan
4 Cahiers duCinéma, n°32, février 1954 et n°34
5 « A propos de Vertigo, ou Hitchcock contre Tristan», Etudes Cinématographiques, n°84-87, 1971
6 Les Stars, Le Seuil, Édition de poche 1957. Réédition illustrée, Galilée, 1984, 183 p.
7 Texte paru dans Cinéma d’aujourd’hui, n°1, mars-avril 1975
8 Histoire et conscience de classe, Georg Luckas, Editions de Minuit
9 Texte paru dans « Etudes Cinématographiques», n°73-77, 1969.
10« A propos de Vertigo, ou Hitchcock contre Tristan», Etudes Cinématographiques, n°84-87, 1971
11 Entretien avec Suzanne Liendrat-Guigues, Du réalisme au cinéma, Nathan, 1997
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